Chronique d’un séjour en Chine

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Chronique d’un séjour en Chine
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En guise d’introduction, voici le strict minimum nécessaire pour comprendre ce qui suit. L’ÉNS Lyon a remporté en octobre 2004 les demi-finales régionales du concours de programmation ICFP des ACM. Suite à cet heureux événement, survenu lors de la première participation de l’ÉNS à ce concours, nous avons été sélectionnés pour la finale internationale, qui se déroule en Chine à Shanghai, du 3 au 7 avril 2005. Nicolas Schabanel, professeur à l’ÉNS Lyon, coache l’équipe composée d’Alexandre Buisse, d’Arthur Charguéraud, et de moi-même (photo, avec de gauche à droite : moi, Arthur, Alexandre). Nous sommes partis deux jours avant pour nous remettre du décalage horaire et avoir le temps de visiter la ville.

N’oubliez pas de passer voir les photos.

1er avril — Premier contact

Shanghai, son aéroport, son train magnétique, son métro,
et ses chiens renifleurs d’explosifs

Après une courte escale à Francfort et encore une dizaine d’heures d’avion, nous voilà arrivés à Shanghai. À peine avons-nous posé un pied hors de l’engin volant qu’un magnifique membre des forces de l’ordre chinois s’offre à nos yeux, dûment casqué – et matriculé. Du reste, il s’agira pour la journée du seul policier que nous aurons rencontré : je m’en veux encore de ne pas l’avoir examiné plus en détail.

Les formalités d’immigrations ne sont guère différentes de ce que l’on peut subir dans d’autres accueillantes contrées. Quelques expériences vécues racontées à l’occasion montrèrent même qu’on pouvait s’attendre à pire dans un certain pays composé de cinquante états… À noter qu’en Chine, les terroristes ne sont pas pris par surprise : juste avant la douane, une poubelle est surmontée d’un écriteau indiquant que « here is your last chance » pour se défaire de « any material » susceptible de porter atteinte à la République Démocratique de Chine.

Interdiction également de s’adonner aux joies de la photographie dans l’enceinte de l’aéroport, et ce pas uniquement dans un souci de conservation des œuvres d’art. C’est fort dommage, car l’édifice vaut le coup d’œil : sol en marbre, proportions gigantesques, et chien renifleur d’explosifs circulant entre les bagages.

Néanmoins les deux appareils photographiques emportés pour l’occasion ne sont pas inutiles. En effet, ayant emprunté le fameux train à suspension magnétique reliant l’aéroport à la ville, nous avons pu immortaliser la progression rapide du compteur de vitesse, dans le but avoué de tracer (plus tard) la courbe de célérité du train. Au cours de la période d’accélération constante de deux ou trois kilomètres heure gagnés chaque seconde, l’engin s’offre de luxe d’accélérer en plein virage avant d’atteindre la vitesse plafond de 431 km/h. Une remarque judicieuse est émise comme quoi, excepté en avion, jamais nous n’étions allés plus vite. Pourtant l’impression de vitesse n’est pas flagrante, nous progressons seulement deux ou trois fois plus vite que les automobiles de l’autoroute voisine.

Défile sous nos yeux ébahis la banlieue shanghaienne, avec ses innombrables tours et barres d’habitation, ses multiples serres et potagers, et ses maisons typiques couvertes de tuiles en plastique imitation ardoise. Ce n’est pas souvent que l’on voit des tuiles réfléchir aussi bien la lumière et de ce fait miroiter au soleil. Ce spectacle grandiose est atténué par une brume plutôt épaisse, dont on comprendra par la suite qu’elle est d’origine essentiellement humaine – j’aurai tout loisir d’y revenir un peu plus tard.

Après le train, voici le métro. Celui-ci allait confirmer les vagues soupçons éveillés par celui-là. En effet, tout émerveillés que nous étions par le cadre imposant – marbre, contrôleurs en uniforme – et aveuglés par l’euphorie de la découverte, nous n’avions fait que vaguement remarquer le certain empressement des Chinois qui n’avaient montré aucune gêne à nous passer devant tout en nous écrasant les pieds.

Les conclusions logiques de cette expérience sociologique ne tardèrent pas à s’imposer. Force fut de constater que, malgré un régime politique peu porté sur l’individualisme et les libertés associées, les Chinois – du moins ceux de Shanghai – montrent un empressement frénétique à ne pas attendre que les usagers descendent du métro avant d’y monter. Et moi qui trouvais à redire sur le comportement de certains parisiens et lyonnais à ce sujet… Bref, nous profitons lâchement de notre taille supérieure à la moyenne asiatique pour jouer des coudes et parvenir à nous extraire de la voiture.

Shanghai, son silence impénétrable, son air pur et parfumé,
ses écrans plats

En atteignant la surface via l’escalier du métro – que les Chinois dédaignent pour s’entasser dans l’unique escalator –, la première chose qui frappe est le bruit ambiant. La ville semble animée d’une activité frénétique. Où que l’on soit, on parvient à distinguer à travers l’épais nuage de pollution une bonne demi-douzaine de grues et de tours en construction.

Mais la majeure partie des décibels provient du trafic automobile, dont la densité, le désordre, et la dangerosité transforment par contraste la traversée de Marseille à pied les yeux bandés en promenade de santé. Chaque conducteur d’engin motorisé semble prendre un malin plaisir à klaxonner toutes les trente secondes au minimum, non pas tant pour influer sur le véhicule situé devant lui, mais plutôt pour rappeler au monde son existence. Je n’ai jamais pu constater l’utilité du moindre coup d’avertisseur.

L’air sec et chaud, chargé de poussière et de pollution, est quasiment irrespirable. L’absence de vent n’arrange pas l’affaire. Le vampirisme et la fatigue des onze heures d’avion sans sommeil n’y sont que pour peu dans mes yeux injectés de sang.

Nous faisons surface dans une rue relativement commerçante, mais après avoir erré quelques minutes à la recherche de notre hôtel – l’unique Sofitel indiqué par le plan –, nous traversons un quartier des plus étranges. Boulons, clous, robinets et furets à récurer les tuyaux côtoient pinces et scies circulaires. Cela sur une surface estimée à plusieurs blocs. En un mot, le paradis du bricoleur. Rien de bien spécial me direz-vous, une telle concentration de quincailleries est normale dans une ville en pleine expansion abritant autant de chantiers que de bâtiments construits. Moins banal, il suffit d’une dizaine de mètres pour passer d’un étalage d’éviers à une boutique de hi-fi située dans la rue la plus commerçante de la ville, en remarquant au passage une notable inflation des prix.

Digressions

Après avoir remarqué qu’il existait deux hôtels Sofitel à Shanghai et que nous étions arrivés au mauvais, se présente l’occasion d’emprunter un autre moyen de transport : le taxi, et son conducteur matriculé. C’est je crois le moment de faire le point sur l’occidentalisation de la région, qui culmine avec la publicité envahissante. En effet, dès le train magnétique et le métro, nous avions pu remarquer le goût prononcé des Chinois pour les écrans plats de grande taille, dont le seul objet est de dispenser de la publicité, avec bande sonore. Une telle débauche de moyens techniques relègue les affiches françaises aux tréfonds de la préhistoire. Les taxis ont eux aussi droit à leurs écrans vidéo miniatures vantant les mérites de nouilles surgelées ou de cosmétiques en tous points semblables à ceux des occidentaux. Nous avons tout loisir d’observer dans le taxi la conduite sportive des automobilistes, et avons pu vérifier que le klaxon ne restait jamais inutilisé plus d’une minute. L’architecture locale attire également notre attention. La ville est une véritable vitrine d’architecte géante, où toutes les formes de tours et de buildings semblent avoir été testées. À noter que chaque appartement comporte au moins un climatiseur, que l’individualisme semble avoir rendu indépendant des parties communes : accrochés sous les balcons, ils sont tous différents.

Une seconde parenthèse s’impose, concernant cette fois l’économie locale. Tout d’abord, la monnaie du pays est le yuan, dont le taux de change est étonnamment proche de 10 yuans = 1 euro, et l’idéogramme correspondant ressemble furieusement à un « pi barre ». Ensuite, les pièces valant toutes moins de 1 yuan (les centimes de yuan s’écrivent « jiao »), tout se paye en billets. Le plus gros valant seulement 100 yuans (environ 10 euros), le bureau de change de l’hôtel en possédait d’immenses piles. Comme nous le verrons par la suite, les politiques tarifaires sont indexées par le degré d’occidentalisation du commerçant. Pour finir, en Chine point de TVA ni de taxes. Conséquence directe : le prix de l’essence doit approcher celui de l’eau. La traversée de la moitié de Shanghai, environ une demi-heure quasiment non stop, nous a coûté la bagatelle faramineuse de 27 yuans, soit moins de trois euros. Nous verrons par la suite que la même somme permet payer un repas complet à quatre humains affamés.

Nous arrivons enfin à l’hôtel, dont les cinq étoiles ne garantissent malheureusement pas une eau raisonnablement buvable. L’expression « thé aux cailloux » (ou, plus folklorique et adéquate au quartier que nous avons visité en premier, « thé aux boulons ») s’imposa au restaurant dans lequel nous avons déjeuné, à une heure fort tardive d’ailleurs. À l’heure où j’écris ces lignes, i.e. le 4 avril à dix heures pendant une conférence IBM des plus ennuyeuses, je n’ai toujours pas bu de meilleur thé qu’en sachet et à Lyon.

12 millions de shanghaiens,
30 % de plus officieusement

J’ai volontairement attendu avant de parler de la foule innombrable qui peuple la ville. On ne l’a réellement remarquée qu’assez tard, puisque train magnétique, métro et taxi ne nous avaient pas permis d’apprécier l’étendue du phénomène. J’ai grand peine à trouver les mots pour décrire cette masse grouillante d’êtres humains, tous aux cheveux noirs, de taille identique à quelques centimètres près, mais habillés de manière fort différente : cela va du costume cravate du cadre jeune et dynamique, à l’uniforme anticonformiste universel des jeunes occidentaux.

La circulation pédestre vaut vraiment le coup d’œil. Tentons de décrire un cycle de passage piéton. Le décor : une rue à quatre voies tout ce qu’il y a de plus classique, une surface de traversée de seize mètres de long sur douze de large environ. Les voitures passent. Un flux continu et régulier de Chinois s’entasse des deux côtés du passage, au point d’atteindre des deux côtés trois ou quatre mètres de profondeur (sur quinze de large), soit une bonne centaine de personnes au total. À peine les voitures ont-elles fini de passer que l’attaque commence. Les deux fronts avancent, à vitesse constante, et se rencontrent sans la moindre anicroche. Le spectacle est effarant. Le photographe de notre petit groupe n’a pas pu résister à l’envie de prendre un petit film. Environ une minute plus tard, quand tout le monde est passé, les automobilistes redeviennent maîtres des lieux. Durée d’un cycle : deux ou trois minutes.

2 avril — Excursion en province

En attendant le train

Le buffet du petit-déjeuner offert par l’hôtel n’a rien de chinois, ce qui ne l’empêche pas d’être délicieux et particulièrement bien fourni. Nous avons tout le temps de mettre au point la stratégie de la journée : visiter la (pas si) petite localité de Suzhou avant d’être contraint de respecter le fort chargé planning officiel des ACM. Le plus simple pour s’y rendre s’avère être de prendre le train, que nous ajoutons donc à notre longue liste de moyens de transport testés.

La gare est noire de monde. Représentez-vous la scène : 22 guichets à raison d’un tous les deux mètres, pour un total d’au minimum 500 personnes. Comme par hasard, le seul tenu par un employé anglophone se situe en plein milieu. Il nous faut donc fendre une dizaine de files d’attente, s’étendant chacune sur une quinzaine de mètres avant de déborder à l’extérieur de la gare. L’attente n’est pas bien longue, nous avons appris à apprécier la rapidité des Chinois dans l’exécution des tâches administratives ; les français devraient s’en inspirer. Deux bémols toutefois : la guichetière ne peut pas nous vendre de billet de retour, et nous regrettons d’avoir attendu une demi-heure pour ne payer que 22 yuans par personne, l’équivalent de deux tickets de métro parisien.

Le guide fait mention de 40 trains par jour sur notre ligne, mais le départ du nôtre n’est que dans deux bonnes heures. Après avoir retiré du liquide dans un hôtel (aucun automate bancaire n’a voulu de la Visa) et par tranches de 1 000 yuans seulement pour ne pas essuyer le refus de la banque française, nous décidons de tuer le temps dans une sorte de grande surface verticale, située à proximité de la gare. Le bâtiment comporte cinq niveaux de surface relativement réduite (pas comparable avec une grande surface parisienne) proposant chacun un type de marchandises. Au rez-de-chaussée, un mini marché municipal : une dizaine de vendeuses proposent des friandises et graines chinoises emballées individuellement dans de très petits sachets. On trouve aussi quelques montres et des canettes ; nous en profitons pour reconstituer nos réserves en eau potable, les bouteilles offertes par l’hôtel n’étant guère suffisantes.

Les trois niveaux suivants sont occupés par les meubles et les vêtements. À noter qu’un étage entier est réservé à l’habillement que je qualifie de « luxueux » dans mon référentiel. On avait déjà remarqué que les Chinois, même les jeunes adultes, étaient nombreux à porter cravate et veston – ce qui ne les empêche aucunement de se déplacer avec des vélos rongés par la rouille ou des mobylettes poussiéreuses. Bref, nous ne jetons qu’un rapide coup d’œil à ces articles pour grimper au dernier niveau, réservé à l’électronique, où s’entassent appareils photographiques, caméras, et caméscopes. Notre coach en profite pour faire l’acquisition pour un prix dérisoire d’un chargeur de piles de flash d’un format très spécial, introuvables en France en rechargeable. À part quelques exceptions très ciblées, tous les articles chers ont des prix très similaires à ceux pratiqués en France, déduction faite des 20 % de TVA. Nous sommes étonnés de ne voir aucune économie substantielle réalisable sur les appareils photographiques haut de gamme.

Juste avant de redescendre, nous tombons sur un stand original : un vendeur s’est spécialisé dans le tirage de photos de classe ou de promotion. Rien de bien spécial me direz-vous, plusieurs photographes français font la même chose et se livrent d’ailleurs à une concurrence acharnée. Je doute cependant que vous ayez déjà vu une photo de promo de cinq mètres de long sur trente centimètres de haut. Nous profitons de l’occasion pour vérifier une conjecture : les élèves chinois portent bien l’uniforme, même s’il est souvent d’un style étrange : nous n’avons croisé dans la rue que des collégiens en survêtement de sport.

Que de monde autour d’un billet

Je ne résiste pas à narrer cet exemple de flicage en Chine. Pendant toute la durée du séjour, nous avons été agréablement surpris par la bienveillance de la police et de l’administration. Le comportement sportif des Chinois au volant en est l’illustration la plus flagrante. Cependant le gouvernement semble trouver un malin plaisir à multiplier les contrôles sur les biens et services de faible valeur marchande. Ainsi n’est-il pas rare de voir des contrôleurs en uniforme à la sortie du métro, au cas où quelqu’un oserait frauder un ticket pourtant fort bon marché – le prix augmente avec la distance, et plafonne à 5 yuans.

Le summum des contrôles est atteint avec le train. Voici un parcours type :

  1. avant d’entrer dans la gare, un premier filtrage repousse les voyageurs sans billet ;
  2. premier check-in entre la salle d’attente et le quai, où le ticket est poinçonné ;
  3. seconde vérification au pied du wagon, où une gentille hôtesse vérifie que nous ne nous sommes pas trompés de voiture ;
  4. à bord du train, une autre gentille hôtesse vérifie que chaque passager est muni d’un titre de transport, et coche en conséquence une feuille récapitulative ;
  5. en sortant du train, avant de pouvoir entrer dans la gare, une rangée de contrôleurs vérifie que nous possédons ce fameux billet, le déchire un peu, et nous le rend.

Mais je suis passé très vite sur certains détails. Tout d’abord, la salle d’attente. Avant d’y parvenir, il nous faut traverser un immense hall, que l’on pourrait schématiquement assimiler au tronc de la gare, les branches étant les salles d’attente, que mes souvenirs parcellaires estiment à une dizaine environ. Jusque là rien de bien formidable, le hall est aussi long que celui d’un aéroport. Cela cachait quelque chose, nous ne comprenions pas où étaient passés les clients des 22 guichets.

En entrant dans la salle d’attente de notre quai, la lumière se fit. Représentez-vous mentalement la masse de personnes que peut contenir une bonne demi-douzaine de wagons de TGV à un seul étage. Répartissez ces individus dans la surface carrée la plus petite possible, de manière à ce que chacun d’eux dispose d’un mètre carré d’espace vital. Placez des rangées de sièges parallèles couvrant toute la zone, en laissant un peu d’espace libre au milieu. Pour finir, ajoutez un mètre de marge autour de la salle ainsi définie (sauf du côté du quai) pour que l’on ne se casse pas le nez en ouvrant une fenêtre. Juste pour rigoler, imaginez la surface ainsi couverte par la dizaine de salles d’attente.

En pratique, les rangées de sièges n’ont pas la même popularité. Les trois les plus au centre sont nettement plus prisées, pour une raison bien simple quoique difficile à deviner au premier abord : les employés effectuant le check-in n’ouvrent que les barrières situées devant ces rangées… Rappelez-vous qu’il n’y a aucune marge entre les barrières et le siège situé au bout de chaque rangée, si bien que, placés dans une mauvaise rangée, nous avons dû faire tout le tour et perdre du même coup cinquante places dans la file d’attente.

Vivement des trains made in China !

Vu le prix du billet, je m’étais préparé psychologiquement à affronter quelque tortillard rongé par la rouille et occupé par des milliers de Chinois entassés les uns sur les autres. Grande fut ma surprise en découvrant un wagon de type Corail sans compartiment à en faire pâlir d’envie la SNCF. Plutôt que d’effectuer une fastidieuse comparaison des deux compagnies ferroviaires, je me contenterai de répertorier les différences les plus frappantes, laissant ainsi au lecteur le soin de tirer lui-même les conclusions qui s’imposent. Il pourra notamment réévaluer le ratio qu’il est en droit d’exiger en France entre qualité de service et nombre de jours de grève annuels privilèges indécents exceptions sociales obtenues par la force gentiment accordées aux cheminots.

Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit plus haut, impossible de se tromper de voiture : au pied de chacune d’elles, une employée est prête à vous aider avec toute la gentillesse du monde. Ensuite, contrairement à ce que l’on pourrait penser, les sièges sont enfin convenablement espacés, c’est-à-dire avec un espace suffisant pour les genoux et assez de place autour de la table rétractable pour ne pas cogner les coudes du voisin. Bonus : l’espace au-dessus de nos têtes réservé aux bagages n’a rien d’anecdotique comme dans certains pays que je ne citerai pas, on peut y mettre une valise sans problème. Bref, le constructeur des wagons n’a pas voulu grappiller à tout prix quelques places supplémentaires, et a inscrit le confort des passagers en haut de sa TODO-list. Ceci est d’autant plus étonnant que les Chinois sont de corpulence inférieure à la moyenne occidentale. Peut-être par souci d’attirer des touristes américains, dont je ne ferai pas l’injure de citer le rapport taille/poids moyen ? Pas vraiment, puisque nous sommes les seuls étrangers du wagon, pour ne pas dire de tout le train.

Cerise sur le gâteau, le train est parti avec de l’avance ! Certes limitée à une poignée de minutes, mais tout de même : aucun problème du type « objet sur la voie », « caténaire endommagé », « rail cassé », « réveil du conducteur en panne », ou « indice du CAC 40 en baisse de 0,3 % » n’est venu jouer le trouble-fête. Mieux, aucun retardataire, aucun gêneur n’arrive au dernier moment pour ralentir tout le monde. Dans la travée centrale, pas de flux continu de voyageurs cherchant encore leur place.

Business is business

Le moment est venu de parler en détail des pratiques commerciales chinoises. On savait déjà que leur publicité passive était assez envahissante, il nous restait à affronter le démarchage actif. Nous l’avions déjà expérimenté dans sa version soft au buffet de petit déjeuner de l’hôtel : à peine avions-nous avalé le contenu d’une assiette qu’une serveuse se jetait dessus pour l’emmener à la vaisselle. La manœuvre était tellement rapide qu’il s’avérait impossible de refuser. Nous avons désagréablement subi le même genre de comportement en descendant du train. À peine avons-nous posé un pied sur le quai que nous sommes immédiatement repérés et alpagués par un Chinois local, qui commence fort obligeamment par nous indiquer la bouche du tunnel menant à la sortie. Le dernier contrôle une fois franchi, nous sommes littéralement assaillis par une horde de rabatteurs de location de vélos. Chacun crie des tarifs plus intéressants que ceux pratiqués par ses concurrents.

Nous finissons par suivre le premier démarcheur, qui promet des vélos à 20 yuans la journée. En fait, il s’avère que ce tarif est celui des vélos rouillés et poussifs, les plus neufs (ou les moins vieux, pour mieux coller à la réalité) coûtent 25 yuans. Malgré tout l’affaire est intéressante, nous pouvons disposer de quatre vélos jusqu’à 19 heures pour 10 euros. La vendeuse commence par exiger un passeport comme garantie, ce que nous refusons catégoriquement, préférant avancer une caution égale à la valeur des engins : 200 yuans chacun, c’est le prix d’un vélo en Chine…

Les joies de la bicyclette

La ville est bien plus agréable que Shanghai. Bien moins de pollution, beaucoup plus d’espace : on respire ! Chaque grand axe routier est flanqué de deux pistes cyclables, où cycles, mobylettes et scooters circulent en klaxonnant à toute berzingue. Elles sont du reste absolument indispensables si l’on ne veut pas trop diminuer son espérance de vie, tant le trafic automobile est dangereux. La ville possède bien des feux de circulation, ils sont même complétés par des comptes à rebours. Mais rien n’y fait, une loi du type proie-prédateur semble régir tous les déplacements. Si l’on considère les trois « espèces » que sont piétons, vélos, et voitures, seule celle numériquement dominante obtient le droit de passer.

Concrètement, lorsque les piétons amassés des deux côtés de la rue deviennent suffisamment nombreux, ils avancent d’un seul bloc en plein milieu de la rue, bloquant ainsi le trafic automobile quelques instants. Traverser en groupe compact est une condition indispensable, sous peine de se faire klaxonner et passer devant par les véhicules. Même chose entre vélos et voitures.

Malgré tout, la promenade est fort agréable, surtout si l’on s’éloigne des axes majeurs pour emprunter les voies longeant le canal. Notre première intention était de visiter la tour typique visible dépassant des toits. Lorsque nous rangeons les vélos, une vielle femme nous aborde et nous fait comprendre que si nous ne lui donnons pas quelques yuans, nos vélos risqueraient d’être subtilisés. En clair, elle nous rackette. Finalement la tour s’avère à la fois inintéressante et fort chère à visiter, nous reprenons immédiatement les vélos (mais pas nos yuans), direction la « Humble Administrator House » dans laquelle notre coach prend quelques photos.

Nous enchaînons avec le jardin du « Master of Nets », particulièrement joli, et reflétant la conception chinoise de la beauté : rien ne doit être droit ou grand. Le jardin est composé d’une multitude de zones à ciel ouvert, délimitées par des murs formant un labyrinthe tel que le regard ne peut pas s’étendre sur plus d’une dizaine de mètres sans être arrêté par un arbre, des boiseries, une composition de rochers soudés par un mortier. De petites pièces d’eau rafraîchissent l’ensemble. On apprécie le souci du détail : pierres et tuiles de couleur différente forment des dessins sur le sol, arbres et arbustes sont tous travaillés à la mode bonzaï, les murs sont souvent enjolivés de boiseries, enfin petits ponts, colonnades et pavillons achèvent de rendre l’endroit fort agréable.

Entre les deux visites, nous avons déjeuné dans un resto local qui ne payait pas de mine. Le terme de « resto » est bien trop fort, il s’agissait plutôt d’un endroit perdu au milieu d’une étroite ruelle qui offrait quelques chaises et une dizaine de mets différents maintenus au chaud dans des plats en inox, derrière une « vitrine » réduite à deux plaques de verre. On s’assied, on désigne une demi-douzaine de plats dans lesquels la cuisinière-tenancière-serveuse pioche pour remplir nos « assiettes ». Riz à volonté, collant à souhait comme je l’aime. L’eau est servie bouillante, sans doute pour éliminer les bactéries. Cependant le risque d’intoxication alimentaire semble limité, puisqu’un ou deux autochtones avalent goulûment leur platée. Il s’agira de notre meilleur repas pour nos trois premiers jours en Chine.

Nous faisons les paris au moment de payer la note, car les prix ne sont indiqués nulle part. Quand la responsable écrit, sur une feuille de papier, 26 encadré de deux idéogrammes inconnus, nous croyons qu’il s’agit d’un multiplicateur « fois dix » ; on écrit 260, elle opine de la tête, et nous envisageons de marchander. Lorsque nous sortons les billets de 100 yuans, la tenancière corrige notre erreur : ce copieux déjeuner ne nous a coûté que 26 yuans. Moins cher qu’un repas au RU de l’ÉNS, nettement meilleur… et pour quatre personnes.

Un Guide du Routard au goût douteux

Le soir venu, nous remontons dans le train après avoir récupéré la caution des vélos. Le prix des billets avait bizarrement diminué de quelques yuans – nous ne croyions pas la chose possible. En fait, il apparut que le train était surbooké et que nous allions voyager debout. Qu’à cela ne tienne, le Guide du Routard mentionne un restaurant fameux qui ravira nos palais par de subtiles saveurs – ok, j’en rajoute un peu.

Il s’avéra malheureusement que ledit restaurant était un piège à touristes dans lequel nous sommes tombés la tête la première. Après avoir choisi un menu tout fait, nous touchons à peine aux cinq premiers plats. Tous sont remplis de substances herbeuses et douteuses, voire de pas de substance du tout à part la sauce, qui tente vainement de cacher son mauvais goût à grand renfort de piment et de gingembre.

Un quart d’heure plus tard, quelques serveuses et serveurs déguisés font irruption sur une estrade et se livrent à une sorte de spectacle dansé, avec la plus complète démotivation.

La soirée est déjà bien entamée que la plupart des tables restent vides. Nous avons vraiment le sentiment de perdre notre temps. Heureusement les plats suivants, plus consistants et moins remplis d’herbe, sauvent la situation. Le montant de l’addition nous fait néanmoins amèrement regretter le repas de midi, à la fois plus fourni, bien meilleur, et nettement moins cher.

Le Guide du Routard est en sursis, nous commençons à le regarder d’un drôle d’air.

3 avril — Plein le ventre et les mirettes

Un Guide du Routard au goût définitivement douteux

Le temps a changé, nous ne pouvons qu’apprécier la brise persistante qui apporte un peu de fraîcheur et chasse l’odeur de pollution. Nous profitons de notre dernière journée de liberté avant d’être alpagués par les gens de chez IBM pour déjeuner dans un restaurant local. Cette fois, nous ne commettons pas l’erreur fatale à nos papilles de nous en remettre à l’exécrable Guide du Routard.

Le petit restaurant vanté par notre autre guide de tourisme a le bon goût de se situer en plein cœur du quartier français. Dans le métro, nous remarquons pour la première fois un panneau interdisant le transport d’explosifs. Après cette pointe d’humour, la balade s’avère fort plaisante : nous longeons des propriétés entourées de jardins et de hautes murailles, et dont le style est des plus plaisants. Les rues sont propres, larges, bien ventées donc sans odeur nauséabonde : c’est un beau quartier. À noter la présence de tuiles véritables sur les toits, qui ne brillent pas au soleil comme celles de la banlieue.

Après avoir enfilé une sinueuse impasse, dont les murs sont recouverts de peintures annonçant la présence d’une école, nous dénichons le fameux restaurant soigneusement planqué dans un coin. Il y a du monde, que des Chinois : c’est bon signe. À l’inverse du précédent établissement culinaire abusivement nommé « restaurant », celui-ci possède une carte des plus alléchantes. Nous commandons une demi-douzaine de plats pour nous tous, et… c’est un régal ! Chaque plat est succulent, je regrette de ne pas avoir conservé la liste.

Nous mangeons le plus possible, et promettons solennellement de revenir pour goûter aux plats que nous n’avons pas pu tester, faute d’estomac assez volumineux. Les prix sont tout à fait raisonnables, avec une dizaine d’euros chacun nous en avons largement pour notre argent. D’un commun accord, nous promettons de fusiller sévèrement le Guide du Routard pour ne pas avoir mentionné ce temple de la gastronomie.

Escale culturelle

Pour digérer, rien de mieux qu’un petit musée où nous allons pouvoir piétiner à loisir. Le Shanghai Museum s’impose, avec son architecture bétonneuse et tordue moderne et avant-gardiste, ses milliers de visiteurs, et ses onze galeries. Après avoir fait le plein de brochures en papier glacé, nous nous dispersons dans le musée.

Bronzes et porcelaines sont très travaillés. Les plus anciens remontent à 31 siècles avant notre ère, et relèguent aux oubliettes les piteuses ferronneries gauloises fabriquées 3 000 ans après. Au milieu des peintures et calligraphies, nous tombons sur cette étrange scène, montrant des princesses chinoises pratiquant un sport ressemblant furieusement au golf actuel.

En sortant du musée, passant par l’inévitable boutique aux souvenirs, nous tombons sur une réplique d’un bronze vendue 8 000 euros, le prix d’une Twingo. La confiance des Chinois dans leur réseau policier laisse l’objet à l’air libre, apparemment dénué de système d’alarme quelconque. Et dire que chez nous, on badge les bouteilles d’alcool… Il faut dire aussi que le poids de l’objet lui constitue un antivol naturel.

En rentrant, nous réintégrons le bain de foule et profitons de l’occasion pour prendre quelques photos ainsi qu’un petit film. En longeant le fleuve local appelé Yang Tsé, nous apercevons une sculpture du plus pur style propagande communiste, montrant un vaillant ouvrier les yeux pointés droit sur le soleil, tous biscotos dehors ; j’ai peine à reconnaître un Chinois dans cette carrure d’armoire à glace.

Pas très loin, un bas relief en bronze sur le mur d’une banque montre une horde de révolutionnaires en liesse, armés de couteaux à viande, levant les bras de bonheur. Peut-être est-ce à la vue des nouveaux et fort attractifs taux d’intérêt pratiqués par la banque depuis que le directeur a vu débarquer ces joyeux lurons ?

Le Disneyworld du pauvre

Si d’aventure il vous prenait l’envie de visiter Shanghai, surtout n’hésitez pas. Cependant retenez bien ce nom : Bund Sightseeing Tunnel, et n’y allez surtout pas ! Il s’agit d’un tunnel facilitant la traversée du fleuve. Les creuseurs ne se sont pas limités à cette admirable performance en génie civil : en effet, quoi de plus triste qu’un simple boyau souterrain type couloir de métro ? Pour rentabiliser leur chef-d’œuvre, ils ont décidé d’en faire une véritable attraction. Traduction : un magnifique piège à touristes.

Il nous en aura coûté la somme disproportionnée de 30 yuans par personne pour parcourir 600 mètres dans gros œuf en plastique transparent ne disposant pas d’assez de banquettes pour que chacun puisse s’assoir, et contempler un sordide spectacle sons et lumières. En effet, le tunnel est tapissé de loupiotes type guirlandes de Noël, à raison d’une scène tous les cinquante mètres comme le signalent les changements de musique. Nous avons eu droit, entre autres, au manoir hanté (une livide marionnette en tissu virevolte sous l’action d’un ventilateur), à l’ambiance volcan-du-centre-de-la-terre-oh-c’est-chaud (un dégradé de lumières animées allant cycliquement du jaune au rouge, accompagnées d’une musique de jeu vidéo ponctuée de klangs et autres boums), au planétarium du pauvre (des étoiles stylisées, en plastique, accompagnées d’un croissant de lune et de lumières blanches sur fond noir).

Le lecteur désirant juger par lui-même trouvera quelques photos : ici l’entrée du tunnel, et là un aperçu du parcours. Les panneaux vantant les innombrables qualités de l’attraction mettaient en valeur le son haute fidélité stéréo six pistes, indispensable pour apprécier la musique électronique accompagnant cette débauche d’effets visuels à vous couper le souffle.

Bref, nous regrettons de ne pas avoir pris le taxi, qui aurait coûté cinq fois moins cher, permis à chacun de s’assoir, ainsi qu’épargné de la marche à pied.

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